Novembre 2007
Comment avez-vous retrouvé la trace de Regina Jonas ?
De la façon la plus simple. J’ai une passion : l’étude
des religions. Et je m’intéresse tout spécialement à la place des femmes dans
les religions. J’ai essayé de comprendre le phénomène du rejet de Regina Jonas.
Quel est le destin de cette femme, la première ordonnée rabbin à Berlin en
1935 ? Quel est ce personnage qui a fait témoignage de foi et de
dévouement ? La sainteté n’existe pas dans le judaïsme, mais n’importe
quelle autre religion, Regina Jonas aurait été sanctifiée.
Dans Nuit ouverte,
concernant Regina Jonas, certains vous ont reproché de ne pas avoir romancé sa
vie…
Mais je ne voulais surtout pas romancer la vie de Regina
Jonas. Si je l’avais fait, j’aurais eu l’impression d’être irrespectueuse de sa
vie, de son destin. Toute proportion gardée, pour Nuit ouverte, je me sens
assez proche de Patrick Modiano quand il a écrit Dora Bruder. Il a dit et répété qu’il avait écrit là une enquête…
Justement, comment avez-vous travaillé pour reconstituer la
vie de Regina Jonas ?
Elle est évoquée dans un livre en allemand. Ça m’est servi
de base. Puis je suis allée sur ses traces à Berlin. Il reste très peu de
choses mais j’ai essayé de faire revivre son environnement. Regina Jonas a été
ordonnée avec cette sorte d’obstination. Faire advenir son destin parce que son
destin, c’était aider les autres… Oui, Regina Jonas était au monde pour être
aux autres- c’est ça, l’essence de la religion. Et dans son histoire, ce qui
m’a bouleversée, c’est sa solitude. Assumée à certains moments, rejetée par une
partie de l’établissement orthodoxe.
La vie de Regina Jonas paraît toute entière placée sous le
signe de l’abnégation…
L’abnégation pour cette conviction : les êtres méritent
davantage que ce qu’on a à souffrir. Pour Regina Jonas, ignorer les blessures,
c’est la justesse. La justice. Elle ne s’est incarnée dans rien, à part cette
volonté d’être près des passants. Voilà pourquoi Regina Jonas n’est récupérable
par personne, sauf ceux qui souffrent ! Ce qui m’interroge chez Regina
Jonas, c’est la figure de la bonté. Comment la bonté peut-elle vous aider à
dépasser le quotidien et éclairer les générations qui suivent… J’aime beaucoup
une phrase d’André Schwartz-Bart : « On perçoit la lumière d’astres
déjà morts ».
Je dirai plutôt que ce sont des sympathisants incapables de
bonté. Des personnes qui, quelle que soit la situation, ne regardent qu’elles.
Et quand on ne regarde que soi, c’est assez peu constructif pour le reste du
monde tel qu’il va. Surtout quand ce monde défaille… A travers la famille
d’Elise, je voulais une vitrine de
La concomitance de ces parutions tient du plus pur hasard.
Evidemment, dans ce gouffre de l’âme qu’ont été le 3ème Reich et
Elle s’interroge sur le fait d’écrire alors qu’il est trop tard.
Et c’est peut-être le moteur de mon écriture, aussi… Qu’est-ce qu’on peut faire
contre le Mal ? Comment peut-on réparer ce qui a été brisé ?
Peut-être ne peut-on pas réparer mais il faut essayer. Il y a quelque chose
d’infinitésimal dans cette tentative, dans cette urgence…
… et elle poursuit : « Juste un être fragile,
digne de tristesse, qui ne vaincra jamais sa peur du noir, qui s’écorche en
aimant (…) qui est capable de faire du bien quand cela ne lui rapporte rien. La
paume d’une main sur un front brûlant, voilà ce qu’offrent ces justes. Ils ne
guérissent rien, mais soulagent du monde en braises ». C’est bien ce qui
me tient debout. Parce qu’avant d’être un être juste, il faut être d’abord un
être…
Vous dites justice, justesse, bien… Vous ne vous sentez-vous
pas en décalage dans le monde contemporain matérialiste et
individualiste ?
Je préfère être en décalage qu’à l’unisson d’un monde qui ne
me rapporte pas grand-chose. Aujourd’hui, les gens savent globalement ce qui
est répréhensible. Simplement, ils savent. Voilà ce qu’est le cynisme. Regarder
le monde en face et ne rien faire…
>A lire : Nuit ouverte, de Clémence Boulouque. Flammarion, 258 pages, 18 €.
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