Septembre 2007
D’abord, le look. Quelque part entre hippie et bo bo- bourgeois bohême. Et puis, le physique. T.C. Boyle, 58 ans, né à New York, est aussi grand que maigre. Quand il s’assied au bar d’un hôtel parisien où il fait escale, il salue d’un immense sourire. Il est content de lui, le dit, le fait avoir : « Je suis un artiste », glisse-t-il. Et il se lance dans le jeu des questions- réponses pour évoquer son très réussi Talk Talk, son onzième roman et l’un des temps forts de cette rentrée littéraire automne 2007. Résumé du livre : William Peck Wilson déteste son identité- donc, il vole celle des autres. En un temps trois mouvements, il subtilise les cartes bleues, les permis de conduire, les réputations. Sa dernière victime : Dana Halter, une jeune femme sourde. Et pour se débarrasser de son agresseur parasite, elle se lance dans une course-poursuite furieuse et haletante à travers les Etats-Unis pour le traquer au plus près. Après Le Cercle des Initiés en 2005 et maintenant avec Talk Talk, T.C. Boyle consolide sa place dans le club restreint des grands écrivains américains du moment. Rencontre.
Vous dites souvent que, comme James Baldwin, vous écrivez pour donner de l’ordre et de la structure à un monde chaotique…
Quand
vous écrivez un roman, vous êtes enfermé dans un ton et une période.
L’avantage de cette affaire, c’est que le matin quand vous vous
réveillez, vous savez ce que vous avez à faire. Mais voilà, il y a un
inconvénient : un roman, ça ne prend pas toute une vie. La première
semaine, quand vous en êtes en panne d’inspiration, vous jurez que plus
jamais, vous n’écrirez, que vous êtes foutu, que vous allez vous
suicider… et puis surgit une idée, vous écrivez, pendant deux semaines
vous êtes un génie. Manque de chance, le cycle recommence. C’est le
chaos…
Talk Talk, comme vos précédents livres, est touffu, dense. Comment travaillez-vous ?
Je
n’ai pas de plan, pas de programme. Si je pense aux choses, elles me
perturbent. Alors, je vais dans certains endroits, ça peut m’inspirer.
Mais avant tout, je suis un artiste et le livre, Talk Talk comme les
dix précédents, grandit tout seul. A la limite, je dirai presque qu’il
n’a pas besoin de moi…
Vous affirmez être un artiste. Ça veut dire ?
Je
suis diplômé- j’ai un masters en écriture. J’ai soutenu une thèse sur
l’écriture anglaise du 19ème siècle… Je voulais être un intellectuel.
Explorer le monde de la culture, de la connaissance. Je ne pense pas
être connecté au monde qui m’entoure, ça me plaît énormément. Et je
prends soin à laisser fleurir en moi ce côté artistique !
Le
thème de Talk Talk, c’est le vol d’identité. Mais vous y glissez aussi
une réflexion sur l’identité. Comment nous nous distinguons des autres.
Comment nous savons ce que nous sommes…
Quand j’ai commencé
l’écriture de ce nouveau roman, je me suis interrogé. Comment allais-je
appréhender le monde du silence ? Comment allais-je transcrire le monde
en langage des signes ? Très vite, je me suis rendu compte que le
rythme du langage et la musique ont tant en commun- et nous renseignent
sur notre identité. J’aime le flow du langage, le son des mots. Ainsi,
chaque jour, je lis à ma femme ce que je viens d’écrire. Non pas pour
qu’elle me critique, non, seulement parce que j’ai besoin d’entendre le
son des mots. Et je dois avouer que je suis toujours surpris !
Aux Etats-Unis, votre livre est présenté comme un thriller…
Oui,
je sais… C’est surtout mon éditeur américain qui y tient- peut-être
pense-t-il que c’est plus vendeur de coller le mot thriller sur un
livre… Personnellement, je ne sais pas trop ce que veut dire ce mot.
Bon, au premier abord, on peut penser que l’on va explorer autre chose
mais ce sont des foutaises. La seule vraie question, au fond, c’est de
savoir si l’auteur possède les capacités pour construire une œuvre
littéraire…
Ce qui est votre cas !
Je
suis content de ce livre, je ne le cache pas… Peut-être parce que je
n’ai pas de limites dans mon processus de création- sauf bien sûr
celles que je m’impose ! Et je ne vais pas les dépasser : je suis un
perfectionniste… Et puis, je vais vous dire une chose : je ne prends
jamais d’avances, on me paie sur les ventes. Voilà, c’est sûrement la
raison pour laquelle, lorsque je dis être satisfait de ce que j’ai fait
ou de ce je fais, c’est vraiment vrai ! A côté de l’écriture, j’ai
aussi un autre boulot : je suis professeur. Je n’abandonnerai pour rien
au monde, j’aime ça. Imaginez, professeur, c’est vingt-six jours de
travail par an ! C’est une chance…
Aux Etats-Unis mais aussi dans de nombreux pays à travers le monde, vous êtes tenu pour un auteur culte…
Ma
relation avec le monde est très simple : vous m’aimez, je vous aime !
Alors, auteur culte… Ce qui est sûr, j’aime être un performer, lire mes
livres en public ou les enregistrer sur CD bon, OK, je suis ravi
d’avoir des lecteurs mais surtout, j’aimerai tant être reconnu pour mon
travail. Je n’ai jamais cherché à me créer une image, un look…
Simplement, quand je fais une performance devant un public, je sens
immédiatement que l’ambiance est électrique. Et ça me plaît !
On vous a aussi présenté comme le « Jérôme Bosch du 21ème siècle »…
Il
a montré, à travers ses peintures, les horreurs de sa société, de son
époque. C’est que je fais, moi aussi… Mais on m’a comparé à tout le
monde. En fait, j’aspire seulement à être un artiste. Parce qu’il n’a
pas de devoir de quelque ordre, sauf artistique. Et si on met en avant
un point de vue, ce n’est plus de l’art, c’est du militantisme, de la
propagande…
>A lire : Talk Talk, de T.C. Boyle. Traduit par Bernard Turle. Grasset, 450 pages, 21,90 €.
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