mars 2008
Là, chez elle, assise sur un pouf vert dans son appartement parisien, elle dit : « Je m’attendais à plus de rejet. Je m’attendais à des réactions réservées ». Anne Brochet, 41 ans, comédienne d’excellence et d’exigence, écrit aussi. Et ces temps-ci, elle publie son troisième livre, La fortune de l’homme. Un recueil de six nouvelles, tout en inquiétude, retenue, intériorité. En introspection. L’auteure y installe des femmes pour héroïnes. Et tricote délicatement des textes autour du désir, de la jouissance. E l’amour et de la maternité, aussi. Dans La fortune de l’homme, Le vrai moi ou encore Les loups, Anne Brochet ne craint pas la crudité des mots, l’extrême des situations- mais là où, chez certain autres « écrivants », il n’y aurait que grossièreté et vulgarité, chez elle c’est délicatesse, intelligence et poésie. Quittant La fortune de l’homme et se rappelant ses deux textes précédents (Si petites devant ta face et Trajet d’une amoureuse éconduite), on sait qu’Anne Brochet ne joue pas à l’écrivain. Elle est écrivain. Une rencontre exclusive.
Vous êtes comédienne réputée
tant au cinéma qu’au théâtre. Alors, pourquoi écrire ?
Pendant la rédaction des
nouvelles de La fortune de l’homme, je me suis souvent interrogée. Oui,
est-ce que je peux me permettre cette liberté de l’écriture ? Est-ce
que je me donne cette liberté ? Et puis, j’ai pensé à ces moments de
lecture. Moi, je lis le plus souvent dans ma chambre, sur mon lit. Ce
sont des moments de recueillement. La lecture, c’est un moment privé,
on n’est pas à quinze dans une chambre… Et l’écriture s’est imposée à
moi, c’est comme une addiction…
Qu’avez-vous cherché avec La
fortune de l’homme ?
Raconter l’unique dans
l’universel. Ainsi, je vais raconter une histoire d’amour qui ne
ressemble pas à ce dont on parle d’habitude. J’y place des personnes
dysfonctionnelles mais dans l’introduction, je prends garde de préciser
certaines choses pour dédramatiser.
Dans les six nouvelles de ce
nouveau livre, vous emmenez le lecteur dans une direction, puis soudain
il y a une rupture, une cassure…
C’est mon rythme ! Je fais de
l’arythmie… Finalement, je n’y avais jamais songé mais ça doit se
retrouver dans mon style d’écriture…
Ces temps-ci, les recueils de
nouvelles se vendent plutôt bien. Avec votre éditeur, vous avez
souhaité vous glisser dans la vague ?
Au départ, j’ai écrit La fortune
de l’homme, et je voulais un petit livre. Mais ça a été refusé par ma
maison d’édition. Alors, j’ai écrit un autre texte, le pendant de cette
Fortune…, un texte sur une virilité assumée. J’avais alors deux
histoires sur le désir inabouti, j’y ai ajouté d’autres histoires sur
le désespoir charnel mais au tout début, il n’y avait pas chez moi la
moindre intention de recueil de nouvelles.
Comment se passe l’écriture chez
Anne Brochet ?
Je m’y consacre pleinement. Je
ne peux pas écrire et, en même temps, jouer pour le cinéma ou le
théâtre. Je suis même persuadée qu’il y a, en moi, un travail
souterrain. Il se passe des choses à mon insu… Pour la méthode, c’est
très simple : je me donne des rendez-vous avec moi-même, et je
travaille souvent le matin. J’écris pendant une heure, je ne peux pas
plus…
Qu’est-ce qui alimente votre
inspiration ?
J’ai l’impression que je fais
feu de tout bois ! Tout m’intéresse. Je fais un joyeux mélange de ce
que je vis, de ce que je vois chez les autres. Et puis, j’écris tous
mes rêves dont je me souviens. L’écriture des rêves, ça me sert depuis
mon premier roman, Si petites devant ta face.
La différence entre l’écriture
et le jeu d’acteur ?
L’écriture, c’est plus actif !
Dans l’écriture, il y a un engagement beaucoup plus fort. C’est un
engagement radical…
A travers l’écriture, vous
pressentez une quête…
… je cherche me mettre en
danger. Je dois avoir une nécessité de l’exposition. Non pas de
l’exhibitionnisme, mais de l’exposition… J’ai besoin d’éprouver des
sensations fortes : le trac, c’est très stimulant. Il se trouve qu’avec
le théâtre, j’ai de moins en moins le trac. Voilà pourquoi j’envisage
d’arrêter le théâtre- quand mes deux enfants seront grands, j’y
reviendrai peut-être… A moins qu’avant, on me donne un rôle extrêmement
difficile. Parce qu’une activité comme le théâtre, c’est un véritable
travail athlétique- du moins, je le vis ainsi, et ça m’empêche de faire
d’autres choses…
De nombreux peoples et comédiens
se mettent à l’écriture…
Je n’ai pas de commentaire
particulier sur ce sujet… Me concernant, je dirai que j’ai plus de
capacités que je pense en avoir. Mais je n’ai pas de compte à rendre,
j’ai comme des amnésies !
S’il fallait définir l’écriture
d’Anne Brochet ?
Elle me fait rire ! Elle est
inattendue… Comme si je ne m’y reconnaissais pas…
Aujourd’hui, vous êtes plus
écrivain que comédienne ? ou le contraire…
Je suis actrice quand je joue
mais quand je suis chez moi, je ne suis plus une actrice. Il en va de
même pour l’écriture : quand je suis à mon bureau et que j’écris, je
suis écrivain… En fait, je suis Anne, je n’ai pas de fonction. Je suis
pleine de moments, je ne suis pas une fonction. Et, très sincèrement,
je préfère être un écrivain qui écrit plutôt qu’une actrice qui écrit…
>A lire : La fortune de l’homme, d’Anne Brochet. Seuil, 158 pages, 16 €.
Copyright
2007 SBLlivres ! – Serge Bressan Pour toute reproduction (totale ou même partielle), prendre contact avec : sblivres@free.fr |