INTERVIEW : Chahdortt DJAVANN            

mai 2008

C.Djavann

D’abord, un avant-propos d’un éditeur. Qui précise avoir reçu d’Iran, posté par un journaliste, le texte qui emplit les pages suivantes. Puis, le récit écrit en prison par Fatemeh, une jeune fille de 15 ans, condamnée à mort par pendaison. Un texte court (moins de cent pages), dense, violent, tendre, incisif- c’est La muette, le nouveau roman de Chahdortt Djavann, brillante auteure arrivée en France en 1993 sans connaître un seul mot de français et qui publia Je viens d’ailleurs, son premier roman en 2002… Là, avec La muette, elle monte en tension. Pour décrire le quotidien de la pauvreté en Iran. Pour raconter un amour passionnel entre une tante (la muette) et sa nièce. Pour glisser, encore, quelques infos sur la société des mollahs et autres imams. Pour ne pas totalement désespérer de l’être humain. La muette, journal des derniers jours d’une condamnée à mort, demeurera, c’est sûr, l’un des livres les plus intenses de cette année 2008. Rencontre avec l’auteure.

De la lecture de votre livre, on ne sort pas indemne. On en reste marqué profondément. Vous recherchiez cela, justement, frapper le lecteur…
Oui… Et depuis la parution de La muette, beaucoup de gens me disent que c’est un livre qui bouleverse, qui nous prend et dont on a du mal à sortir.

Très vite, c’est vrai, on est happé par le récit. Mais, franchement,  l’introduction écrite par l’éditeur, ça relève de la technique !
C’est toujours très difficile de répondre… Mon but était de rendre absolument palpable et très véridique un récit dont, par essence, l’arrivée dans la main des Occidentaux tiendrait de la plus haute improbabilité. Et je dois dire que des lecteurs ont même pensé que c’était un récit véridique que j’ai traduit ! Ça prouve que j’ai réussi le pari… Je voulais qu’on soit entraîné dans une histoire, qu’on vive cette histoire de l’intérieur.

La forme du récit vous est venue dès le début de l’écriture ?
Cette histoire, je l’avais en tête depuis plus de deux ans. Je passe à l’acte d’écriture lorsqu’une histoire s’impose vraiment, que je ne peux pas faire autrement. Je dormais avec cette histoire, je me réveillais avec elle, je ne vivais plus, je me suis enfermée pour le rédiger. J’ai écrit le livre en trois semaines…

Pour vous, il y avait urgence à écrire La muette ?
Il fallait absolument que j’écrive ce livre. Je ne pouvais pas ne pas le faire- d’ailleurs, quand j’écris, c’est qu’il y a une nécessité absolue. Et à la fin de l’écriture, couper le cordon a été très difficile- oui, je me suis absolument identifiée à cette jeune fille en prison. C’est sûrement la raison pour laquelle on entend cette voix du fond d’une prison en Iran…

Jour et nuit, vous étiez hantée par le personnage de Fatemeh ?
Oui… J’étais les deux héroïnes, Fatemeh et sa tante, la muette… Il y a des auteurs qui écrivent comme si quelqu’un leur murmure à l’oreille- moi, non : je suis mes personnages. Surtout pour ce livre.

S’identifier aux personnages, dites-vous… Vous éprouviez les mêmes sensations que Fatemeh, que la muette ?
Absolument… Ce n’était pas difficile pour moi… On n’en sort ni abimée ni libérée mais transformée. Dans la vie, on est perpétuellement transformé. Je ne suis pas celle que j’étais il y a un an. C’est ça l’identité, l’altérité. Ce livre m’a amenée, à mon corps défendant, très loin…

De nombreux lecteurs s’interrogent, et le disent sur les forums d’Internet : qu’y a-t-il de véridique dans cette histoire de Fatemeh et de sa tante ?
Bien sûr, l’histoire est une fiction mais il se trouve que l’un de mes prénoms, le premier, est Fatemeh. Moi aussi, j’ai été condamnée à mort en Iran, j’y ai échappé. Et la troisième ressemblance : j’écrivais déjà à 15 ans. Le reste est fiction… Une fiction basée sur des faits divers, pas une fiction invente juste pour le plaisir de créer une situation tragique. En Iran, il y a des pendaisons de fillettes de 14, 15 ans… il y en a même eu une de 12 ans…

A travers la fiction, La muette peut aussi être tenu comme un acte politique, de dénonciation du régime iranien…
Personnellement, je n’éprouve aucun intérêt pour la littérature où l’on se regarde écrire. Pour moi, ce ne sont pas des écrivains mais des « écrivants », des gens qu savent écrire- ce qui n’est pas mon cas… Je prends très au sérieux l’écriture, c’est la chose la plus essentielle dans ma vie… Une histoire comme La muette ne supporte pas la littérature des « écrivants ». A chaque histoire, il fait trouver le style qui lui convient. Je n’ai pas un seul style, je ne me suis pas forgée un style d’écriture qui serait toujours identique. L’écriture m’est venue après avoir été hantée par cette histoire. L’écriture s’impose d’elle-même : ce n’est pas moi qui choisis l’écriture, c’est l’écriture qui m’emmène. C’est comme un ruisseau qui coule, c’est comme ça, ça ne peut être autrement…

Le livre est très court- moins de 130 pages…
Je n’ai pas voulu des monstres et des gens bien. Alors, ce ne pouvait pas être un livre de 300 pages. Moi, quand je lis, je préfère rester sur ma faim que sauter des pages. Alors, oui, j’ai voulu une histoire courte dans laquelle je pouvais créer de vrais personnages.

Vous êtes arrivée en France en 1993- aujourd’hui, vous vous sentez Iranienne, Française…
Je suis une femme et une écrivaine, mon appartenance identitaire s’arrête là !

©Propos recueillis par Serge Bressan

>A lire : La muette, de Chahdortt Djavann. Flammarion, 128 pages, 14 €.


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