INTERVIEW : Michèle FITOUSSI                         

Avril 2007



D’elle, on dit : « C’est une plume ! » Légère, Michèle Fitoussi est une signature de la presse parisienne, éditorialiste pour l’hebdomadaire Elle auquel elle collabore depuis vingt-cinq ans. Depuis 1993 et un premier texte remarqué (Cinquante centimètres de tissu sec et propre), elle vient régulièrement en littérature avec nouvelles et romans : ces temps-ci, elle nous glisse son quatrième roman, au titre aussi sec que simple et sans détours, Victor. Rapidement dit, on est là avec un homme âgé désargenté et prêt à être viré de l’appartement (en fait, une pièce !) qu’il occupe depuis de nombreuses années. Coup de chance, dans son malheur, sur le même palier, vivent une famille des Philippins et aussi Alice- une toute jeune femme, stagiaire à Global, journal pas toujours inspiré. En quête d’un engagement définitif, Alice a une idée qu’elle suggère au journal : proposer, par petite annonce, l’adoption du grand-père. Et c’est parti pour un texte tout aussi léger et empli d’humour que de profondeur et de réflexion. Dans Victor, il y a tout pour un grand succès en librairie. Rencontre avec une auteure toute en charme discret.

Quelle idée, cette adoption d’un grand-père ! Comment vous est-elle venue?

Pour mon précédent roman- Le dernier qui part ferme la maison, je m’étais beaucoup amusée à écrire une comédie. Je voulais y revenir. Mais dans le même temps, la canicule qui, en 2003, avait tué en France 15 000 personnes (c’est quand même cinq fois le nombre des victimes des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington…), m’avait beaucoup choquée : on découvrait alors que rien n’est fait ni prévu pour la prise en charge des personnes âgées. Mais les vieux, ce sont qui des gens qui ont vécu, ce sont des êtres humains… Et puis, un jour, je tombe sur un petit texte dans un journal : en Italie, un vieux monsieur passe une annonce pour qu’on l’adopte.

Il y a là évidemment formidable matière à roman !

Absolument ! D’autant que là, je n’ai pas fonctionné en journaliste mais en romancière. L’histoire m’est venue tout de suite. L’adoption et ses difficultés. Le compassionnel, aussi : comment de bons sentiments peuvent transformer en catastrophe pour des personnes, pour un couple…

Comment se sont dessinés vos personnages ?

Pour Victor, je voulais un vieil homme avec un peu d’allure, genre l’acteur italien Vittorio Gassman. Pour les journalistes, j’en connais et j’en ai croisés tellement, d’Alice la stagiaire à Courcelle le m’as-tu-vu ou encore Arnold Noyeux le directeur et même ce JiPé qui ne lit jamais le journal pour lequel il travaille... Pour Victor, je lui ai donné le prénom de mon grand-père et j’ai pensé aussi à mon oncle. C’étaient des gens à la Albert Cohen. Chez eux comme chez Victor, il y a de la légèreté et de la fantaisie. Ils faisaient des farces, avaient toujours le mot pour rire et ne prenaient pas la vie au sérieux…

Peut-être mais avouez que votre Victor, ce n’est quand même pas un cadeau…

Mais la vieillesse, c’est atroce, c‘est extrêmement dur… En même temps, je ne voulais pas que Victor soit une Tatie Danielle (NDLR : le film d’Etienne Chatillez) au masculin. Parce que Tatie Danielle n’est que méchante. Oui, Victor est un peu escroc mais surtout, c’est resté un enfant. Il ne prend rien au sérieux et il n’est bien qu’avec Félix et Marguerite, les enfants de Guillaume et Sylvie, le couple qui l’a adopté, ou encore avec Alice…

Bien sûr, le thème de votre livre est la vieillesse mais il y a aussi l’adoption, le couple avec Guillaume et Sylvie, la découverte du monde du travail avec Alice… Comment arrivez-vous à faire cohabiter tout ça ?

Récemment, un éditeur m’a dit que j’écris des comédies à l’anglo-saxonne. J’ai pris ça comme un compliment. Parce que j’aime les films et les romans qui emmènent le lecteur… Alors, oui, je fais très attention à la construction du livre, je tricote ! Et puis, je suis convaincue qu’un thème unique dans un livre ne rend pas compte de la vie.

Certains auteurs assurent connaître la fin de leur livre avant même de commencer l’écriture…

J’ai mis plus d’un an à écrire Victor, et c’est vrai qu’au début, je savais plus ou moins où j’arriverai finalement. Et chez moi, il y a toujours le respect du lecteur. Parce que je pense qu’un livre doit toucher le plus grand nombre. Mais en même temps, je me suis rendu compte d’une chose : le journalisme et l’écriture, c’est incompatible. L’écriture demande un travail à plein temps…

Et la souffrance de l’écrivain, vous l’éprouvez ?

Oui, il y a la souffrance mais, dans le même temps, quelle chance on a ! On est maître du monde. On invente des personnages. Et plus on avance en âge, plus c’est passionnant : l’expérience sert à affirmer tant de choses… Mais plus que de souffrance, je parlerai plutôt de sentiment d’impuissance. Il faut bien l’admettre, tout le monde n’est pas Proust ou un génie littéraire. Alors, on fait ce qu’on peut avec le plus d’humilité possible. De toute façon, on souffrira toujours de cette distorsion entre le roman magnifique qu’on aspire à écrire et l’œuvre achevée pas totalement satisfaisante. Mais acceptons quand que ce soit tremblé- sinon, à faire d’attendre le texte sublime, on n’écrira jamais rien !

Propos recueillis par ©Serge Bressan

 >A lire : Victor, de Michèle Fitoussi. Grasset, 380 pages, 18,90 €.


 
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