INTERVIEW : Nadine GORDIMER                         

Juin 2007

Gordimer


Petit gabarit, sourire. Nadine Gordimer, 83 ans, née à Springs (Afrique du sud), fille d’une Britannique et d’un Juif lituanien, prix Nobel de littérature 1991, s’assied dans le salon d’un hôtel parisien où elle aime passer quelques jours. En cette fin de printemps, elle vient évoquer Bouge-toi !, son avant-dernier roman dont la version française arrive en librairie. Comme dans l’essentiel de ses livres, Nadine Gordimer prend pour décor son pays natal. Et, là dans Bouge-toi !, elle propose un portrait de famille- qui se délie, qui se reconstruit. Tout commence avec Paul Bannerman, un écologiste sud-africain de 5 ans, atteint d’un cancer de la thyroïde. Le traitement médical a laissé des traces, il doit être placé en quarantaine. Ainsi, il retourne dans la maison de ses parents, là où il a grandi. Dans ce roman court et formidablement énergique, Nadine Gordimer y mêle les thèmes. Le cancer, le nucléaire, la famille, le sida, cette Afrique du sud entre espoir et pauvreté… Rencontre avec une auteure essentielle de la littérature mondiale.


Avec Paul Bannerman, le personnage central de Bouge-toi !, la maladie est omniprésente. Elle est réelle ou symbolique ?

Dans tous mes livres, mes personnages vivent en étroite connexion avec le monde dans lequel ils vivent. Tous, on éprouve des influences très fortes venues de l’extérieur. Et elles nous façonnent, au fil de notre vie. Et quand on se retrouve dans la situation de Paul, gravement malade, on comprend la vie. On la voit différemment. Et si je devais résumer Bouge-toi !, je dirai que le thème principal est une réflexion sur notre vie et ce que nous en faisons.


La famille Bannerman, dans votre livre, c’est le noyau nucléaire ?

On peut le voir ainsi… Vous relèverez l’extraordinaire coïncidence qui touche Paul Bannerman. Ce jeune homme de 35 ans est un écologiste, il s’oppose au projet de réacteur nucléaire dont les radiations menaceraient les populations voisines. Lui qui travaille pour préserver l’environnement, il est touché par ce qu’il combat. Pour son cancer de la thyroïde, il n’y a pas cinquante traitements, il n’y en a qu’un seul mais qui rend le patient radioactif et l’oblige à observer une « quarantaine » pour ne pas contaminer les autres. Traité ainsi, Paul devient l’agent de ce qu’il combat…


C’est la première moitié de Bouge-toi !, la « quarantaine » de Paul. Là, il se retrouve seul face à lui-même. Et fait un retour aux sources en revenant dans la maison de ses parents…

Ces différents thèmes m’ont aussi beaucoup intéressée en tant qu’auteure. Voilà un jeune homme qui vit avec la maladie. Et qui fait prendre le risque d’une contamination à ses parents. Mais quels parents refuseraient ce risque quand il y va de la vie de leur enfant ? Durant cette période, Paul va aussi penser, réfléchir. A sa vie. A sa femme Berenice. A ses rapports à la politique, non pas parce qu’il serait un militant ou un activiste mais parce que sa femme travaille dans la publicité et qu’elle représente ainsi le monde matériel, matérialiste… Voilà, oui, c’est bien tout ça qui m’a intéressée durant   l’écriture de ce romans- si les conditions de votre vie changent tout à coup, vous allez commencer alors à penser à ce qu’est votre vie. Ce n’est pas toujours satisfaisant.


Symboliquement, il y a donc toujours risque de cancer dans une famille…

Cancer, risque nucléaire, appelons ça comme nous voulons mais oui, il y a danger dans une famille. Chez les Bannerman, par exemple, vous avez Paul et sa femme Berenice, il y a menace de séparation puis reconstruction et même arrivée d’un deuxième enfant. Pourtant, durant sa « quarantaine », il a fait le point sur sa vie, il a constaté que son mariage n’avait jamais été exactement ce qu’il avait souhaité. Et puis, il a eu le choc d’une découverte : sa mère a eu une liaison pendant des années. Là aussi, en quelque sorte, le mariage de ses parents n’a jamais été ce qu’il avait l’air d’être…


La vie, ce peut être aussi des contradictions ?

Oui… Par exemple, Adrian- le père de Paul… Pendant un voyage au Mexique, lui l’homme de la soixantaine, il va tomber amoureux de la jeune guide… Ou encore, Paul- il voudrait changer de vie mais c’est à ce moment-là qu’il va avoir un deuxième enfant avec sa femme alors qu’il a toujours présents à l’esprit les milliers d’enfants nés handicapés après l’explosion de la bombe à Hiroshima. Bon, à la fin, l’enfant naît- il est en parfaite santé. Parce que la vie est là, elle a une force incroyable.


Bouge-toi !, c’est aussi une écriture toute emplie d’une énergie étourdissante. Où allez-vous la chercher, cette énergie ?

En écrivant… Au fil du temps, on développe des sensations  quand on écrit. Par exemple, quand il m’arrive de regarder certains de mes livres précédents, parfois je les troue trop longs, trop élaborés. Et parfois, je me dis : « C’était vraiment meilleur que ce que tu fais aujourd’hui… » En fait, à présent, j’essaie de me tenir à un principe d’écriture : tout réduire à l’essentiel. Mais en même temps, au cours de ma carrière, j’ai eu trois livres interdits dans mon pays, en Afrique du sud. L’un d’eux était un livre long, très détaillé- mais pour celui-là, il fallait beaucoup de détails, ils étaient indispensables pour faire comprendre au lecteur la situation politique.


Le 31 mars dernier à Johannesbourg, la France vous a remis une nouvelle distinction, la Légion d’Honneur…

C’est toujours un plaisir de recevoir une récompense. Ça m’a fait bizarre, j’ai toujours cru que la Légion d’Honneur était réservée aux citoyens français ! Mais je suis un peu de France- voilà trente-cinq ans, ma fille a épousé un Français… et je suis la grand-mère de petits Français. Je préfère me dire qu’on m’a donné cette médaille pour ma modeste contribution à la lutte contre l’apartheid en Afrique du sud…  

Propos recueillis par ©Serge Bressan


>A lire : Bouge-toi !, de Nadine Gordimer. Traduit par Georges et Marie Lory. Grasset, 282 pages, 17,90 €.

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