INTERVIEW : Alexandre JARDIN                         

Avril 2008

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D’entrée, il précise : « Je ne veux pas être un personnage public. Sinon, vous faites un pacte avec le diable… Moi, je mène une vie publique qui n’entre pas dans ma vie ». Et d’ajouter : « La vie publique est le livre de la folie collective ». A 43 ans, Alexandre Jardin assure la promo de son nouveau livre, Chaque femme est un roman, et après une telle entrée en matière,  il demande à son visiteur du jour son avis sur la peinture rouge dont il a recouvert les murs de sa garçonnière- bureau. Voilà, c’est ça, Alexandre Jardin- un drôle de zèbre, un as de la pirouette, un prince voyou gentiment m’as-tu-vu. Il agace autant qu’il séduit, lui qui, à 23 ans, recevait sa première récompense littéraire- le prix Fémina (!). Et vingt ans plus tard, il consacre tout un livre aux femmes qui l’ont façonné, éduqué, fait grandir. De cette gerbe ébouriffante, de ces portraits de dames, que faut-il en retenir, en croire ? Plus fort que jamais, Alexandre Jardin  joue avec son sujet, avec ses sujets, avec ses lecteurs-lectrices ? Où est le vrai, le faux ? Rencontre avec l’auteur qui aime les femmes…

Décidément, avec vous, c’est toujours la même histoire ! En vous lisant, on ne saura donc jamais si vous écrivez la vérité ou si vous êtes le plus grand des menteurs…
Je n’en sais rien moi-même. Je n’en ai pas la moindre idée… Les femmes que j’évoque dans mon nouveau livre sont ce que j’ai voulu voir en elles. J’ai fait des Photomatons, je les ai cadrés d’une certaine façon- une façon différente de la votre. Oui, j’ai écrit ce que j’ai cru ou voulu voir… et en écrivant mes romans, jamais je n’aurai imaginé que des gens allaient se les approprier et même essayer de vivre un certain nombre de chapitres !

Toutes ces femmes dont vous dressez le portrait ont existé ?
Oui même si j’ai changé les prénoms. J’ai envoyé le livre à bon nombre d’entre elles. J’ai des retours. L’une d’elle m’a écrit un petit mot : « J’aurai adoré être celle que tu décris ! » Je lui ai répondu : « Et si tu l’étais ? » Parce qu’elle est une femme extraordinaire qui a choisi ce qu’elle a voulu être.

Qu’est-ce qui vous attire tant chez les femmes ?
Ce que j’aime voir en elles, c’est le roman qu’elles se racontent. Elle son toutes un point commun : elles perturbent toujours mes idées reçues. Elles dynamitent mes convictions, elles me purgent de l’idée stable que je me faisais de la vie. Fondamentalement, c’est ça mon rapport avec l’univers féminin… Peut-être suis-je plus attentif qu’un autre ? En tout cas, les histoires que les femmes se racontent à elles-mêmes, j’aime ça…

Eprouvez-vous la sensation d’être le confident de ces femmes ? Peut-être involontairement…
Parfois… et ça a un écho très fort sur moi. Je m’en souviens alors que ça pourrait arriver et que ça glisse sur moi… Je m’en souviens et j’y repense. Ce sont toujours des moments de grande surprise intellectuelle et là, notre mode de raisonnement vole en éclats…

Ces moments, vous les avez connus plus avec les femmes qu’avec les hommes ?
Toujours ! Récemment, je demandais à l’une d’entre elles comment elle expliquait qu’il y a plus de femmes qui sortent du carré que d’hommes. Elle a eu une réponse magnifique, je n’y avais pas pensé : « Ce sont les hommes qui ont dessiné le carré. Nous, on aurait peut-être dessiné autre chose… » Et puis, il y a quelque chose qui appartient en propre à l’univers féminin, c’est cette somme fantastique d’interrogations et de textes produits pour les plus petites choses comme pour les plus importantes ! Aucune femme changeant de coiffure ne parle de cheveux, elle parle de changement de vie, de positionnement par rapport aux hommes, de transformation par rapport à leurs regards, de refus… il faut vraiment être un imbécile pour croire qu’il s’agit de cheveux ! C’est un chapitre qui s’ouvre. Il y a constamment une interrogation sur ce qu’est la vie, sur ce qu’elle devrait être, sur ce qu’est la relation à ce qu’elle devrait être. C’est beaucoup plus un mouvement. Et je pense, sur le fond, que c’est la vraie raison pour laquelle les femmes meurent plus vieilles…

Dans Chaque femme est un roman, votre mère a droit à sept chapitres…
Parce que ma mère est la clé de mon histoire. Après tout, tous les hommes ne recherchent pas des femmes qui perturbent leur mode de fonctionnement. A chacun, sa folie ! j’ai aimé profondément l’introduction au monde féminin que j’ai vécue à travers ma mère. C’est une femme extraordinairement nourrissante, très inconfortable, pas évidente mais d’une exigence qui a de la gueule !

Ce que vous êtes aujourd’hui, vous le devez à toutes ces femmes que vous avez croisées un jour dans votre vie ?
Ce que j’ai aimé très profondément à chaque étape, ce sont des femmes qui m’ont permis de renaître constamment. Il y a la première naissance biologique, et puis ces naissances successives. Ces naissances à l’audace, à un autre mode de fonctionnement de la vie… Ce fonctionnement intrinsèquement paradoxal, je l’ai beaucoup plus expérimenté à travers des femmes qu’on m’en a entretenu sur les bancs de l’université !

©Propos recueillis par Serge Bressan

>A lire : Chaque femme est un roman, d’Alexandre Jardin. Grasset, 308 pages, 19,80 €.

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