INTERVIEW : Douglas KENNEDY                         

mai 2007

Douglas Kennedy


Voici le meilleur thriller psychologique de ce premier semestre 2007 ! Le titre : La femme du Ve. Son auteur : Douglas Kennedy, Américain de 52 ans, né à Manhattan, vivant entre Londres et Paris où il possède un petit appartement dans le Quartier Latin. En 2005 avec Les Charmes discrets de la vie conjugale, il avait affolé les ventes en librairies francophones. Cette fois, avec cette Femme du Ve, l’histoire devrait se répéter. Ici en Europe, Kennedy a un large public- contrairement aux Etats-Unis, son pays natal qui continue de l’ignorer. Qu’importe ! il tisse des romans aussi enchanteurs que diaboliques. La preuve avec La femme du Ve, dont le personnage principal est autant la ville de Paris que Harry Ricks. Rencontre dans un restaurant parisien avec le plus francophone des écrivains américains.

Une ville, Paris en l’occurrence, personnage principal d’un roman, ce n’est pas courant…

… oui, en effet ! Pouvez-vous me citer un roman contemporain où Paris est un héros ? Personnellement, je n’en vois aucun…

Comment vous est venu le choix de Paris pour La femme du Ve ?

Depuis 1988, j’ai un petit appartement à Paris, dans le 6ème arrondissement. Et quand j’ai commencé mes recherches et ma documentation pour ce livre, j’ai lu deux, trois romans de Georges Simenon. Dont Trois chambres à Manhattan… Il y décrivait une ville avec la pluie omniprésente et sale. C’était le Manhattan des ombres… Oui, La femme du Ve est un petit hommage à Simenon !

Chez les écrivains américains, d’Henry Miller à Norman Mailer en passant par Ernest Hemingway, il y a toujours eu une grande attirance pour Paris…

Mais moi, j’ai tenté d’écrire une subversion d’ Un Américain à Paris. Mon personnage, Harry Ricks, ce n’est pas Gene Kelly ! Quand il débarque à Paris, il n’arrive pas au Quartier Latin ou dans le 16ème arrondissement. Professeur à l’université, il a quitté les Etats-Unis, sa femme et sa fille après un problème avec une étudiante. Alors, quand il arrive à Paris avec pas beaucoup d’euros en poche, il atterrit dans un hôtel improbable dans le 10ème arrondissement, Rue de Paradis… C’est en apparence une rue très banale et la nuit, c’est sinistre parce que c’est vide. Mon idée de départ : je souhaitais que Harry habite dans Paris en dehors des Français… sauf de la police !

Pour décrire le monde interlope parisien, pourquoi ne pas avoir pris le quartier de Barbès pour décor ?

Mais aujourd’hui, Barbès, c’est cliché ! Alors que le 10ème… Imaginez : il y a la Rue de Paradis avec les Turcs ; un peu plus loin à Château d’Eau, ce sont les Africains… et puis, il y a les « bobos » (NDLR : les bourgeois bohêmes) qui, depuis peu, s’y sont installés. C’est très contemporain…

Harry Ricks, votre narrateur écrivain, a choisi l’exil…

Etre en exil et être expatrié, c’est complètement différent. Harry, lui, il est expatrié parce qu’il avait le choix… Rostropovitch ou Soljenitsyne, eux, étaient en exil. Quand on doit fuir son pays natal, c’est une grande blessure.

Pour survivre, Harry doit accepter un boulot de veilleur de nuit. Et puis, il va dans le Ve arrondissement dans un salon littéraire tenu par une Américaine, où il fait connaissance de Margit…

Ah ! Margit… Elle, elle serait plutôt en exil… J’ai voyagé dans les années 1980 en Europe de l’est, surtout e Hongrie, en Allemagne de l’est et en Tchécoslovaquie. La révolution de 1956 à Budapest ma toujours fasciné, et des histoires comme celle de Margit, là-bas ça existe.

Le rapport entre Harry et Margit est tout empli d’étrangeté, de mystère…

Dans cette histoire, la violence est très crue. Et dans La femme du Ve, j’ai voulu développer la thèse de la différence entre la revanche et la vengeance. La revanche, c’est Margit… La vengeance est toujours violente, physiquement ou émotionnellement, mais finalement qu’y a-t-il ? Le vide… Et dans ce livre, on en a la preuve, Margit a eu sa vengeance mais elle continue d’être hantée. Alors, elle cherche la revanche.

A un moment du récit, ça bascule quasiment dans le fantastique…

Peut-être que Margit la mystérieuse est un ange extraterrestre… On peut même se demander si elle existe vraiment ! Bon, Harry sait qu’elle existe vraiment puisque, deux fois par semaine, de 17 à 20 heures, il lui rend visite et ils ont des relations amoureuses… Mais voilà, j’ai beaucoup lu des nouvelles d’Edgar Allan Poe et il y flotte toujours ce fantastique…

Le fantastique, et aussi le cauchemar pour Harry…

Oui, petit à petit, le récit, la vie et la ville virent au cauchemar. Paris, c’est le centre du cauchemar d’Harry- sa fuite vers la capitale française, c’était un rêve.

Comment expliquez-vous votre succès en Europe ?

Peut-être parce que je prends des sujets universels. Dans tous mes romans, il y a une lutte entre responsabilité collective et rêve personnel.

Les Etats-Unis, votre pays natal, qui vous boudent…

Je suis traduit dans 17 langues et vendu tous les pays anglophones. Alors, les Etats-Unis ne veulent pas de moi, mais je m’en fiche ! A tout choisir, je préfère garder mon public européen !

Il se dit que, à peine sorti en librairie, La femme du Ve intéresse beaucoup le cinéma !

Il paraît… Si c’est vrai, pour le personnage de Margit, je verrai bien Isabelle Huppert ou surtout Charlotte Rampling. Et pour Harry, on m’a soufflé Johnny Depp- ce serait parfait !

Propos recueillis par ©Serge Bressan

>A lire : La femme du Ve, de Douglas Kennedy. Traduit par Bernard Cohen. Belfond, 386 pages, 22 €.


 
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