mars 2008
Il le dit sans hésiter : à
l’occasion des municipales
en France, il a voté pour le candidat UMP à la mairie de sa ville aimée
de
Fréjus. Il sourit- et ajoute, évoquant la présidentielle du printemps
2007 : « C’est vrai, j’ai voté Nicolas Sarkozy mais
je dors mal
depuis ». A l’automne dernier, deux événements de la
vie qui va en
France ont poussé François Léotard, 66 ans, lui l’ancien président de
l’UDF,
lui l’ancien ministre de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur retiré en
littérature depuis 2002, à revenir en politique : une forme de
vraie
désinvolture à l’égard de l’Union européenne, et l’attitude générale
vis-à-vis
des étrangers (dont les fameux tests ADN).
« Léo » est donc de
retour, avec un livre court et incisif. Un pamphlet titré Ça va mal finir-
« J’aurai préféré qu’il fût publié un mois plus
tôt », murmure
l’auteur. Mais voilà, le livre est là- et la cible est
désignée dès la
couverture : Nicolas Sarkozy, sixième Président de la 5ème
République
française. Sarkozy et ses gesticulations, son ego, sa politique…, tout
y passe
sous la plume aussi acérée qu’élégante de François Léotard. Qui ne
craint pas
d’annoncer le retour en France de la lutte des classes. Entretien.
L’heure
est si grave en France qu’elle vous a poussé à
sortir de votre retraite ?
Mais c’est
lui, Nicolas Sarkozy, qui m’a obligé à sortir de
cette retraite ! On se connaît depuis un bon moment, on a même
été
ministres dans un même gouvernement… Et je dois avouer que tous les
gens que
j’ai vus pendant la campagne électorale m’avaient alerté à l’époque-
tous, ils
me disaient : « Il n’écoute pas ». Il
organisait des réunions de
concertation, il n’y avait que lui qui parlait… Ma crainte,
aujourd’hui, est
amplifiée : c’est un garçon extrêmement intelligent mais il a
la quasi
certitude d’avoir toujours raison. Le doute ne s’empare jamais de son
esprit.
Ce peut être une force, oui, mais aussi une faiblesse. Et puis son
entourage et
les ministres sont tétanisés : il n’écoute pas. C’est un vrai
risque, on
n’a jamais raison tout seul…
Avec
votre pamphlet Ça va
mal finir, n’empêche ! vous
participez au phénomène Sarkozy !
J’ai
utilisé la forme du pamphlet, parce que c’est partial.
J’avais déjà fait en 1991 le même exercice avec François Mitterrand,
c’était Adresse
au Président des Républiques françaises… Le poète Plaute évoquait le
bourreau
soi-même. Je crois bien que M. Sarkozy est le bourreau de lui-même… Son
comportement se prête à l’attention qu’on lui porte, par sa mobilité,
par ses
coups d’éclat permanents. Il a contribué à cette avalanche de regards.
Et je
crois que pour son ego, il doit y avoir une sorte de satisfaction.
Presque de
la fatuité.
En
même temps, il a fait campagne sur le thème de la
rupture. Pas seulement sur les idées. Ça s’applique aussi au
comportement ?
Oui, chez Sarkozy, il y a
un côté Rambo… Les gens de l’Arche
de Zoé sont retenus en otage, et le voilà qui claironne :
« J’irai
les chercher un par un ». Ces temps-ci, il est prêt à sauter
dans un avion
pour aller en Amérique du sud chercher Mme Betancourt… Vous imaginez
George W
Bush lancer : « Je vais chercher les soldats
américains en Irak et
les ramener à la maison » ? Je ne connais beaucoup
d’hommes
politiques qui oseraient tenir de tels propos. Chez Sarkozy, il y a
beaucoup de
forfanterie. Il marche aux coups d’éclat et il considère que la lumière
doit
rejaillir sur lui. Uniquement sur lui. Donc, il fait tout, il
ne va quand
même s’abaisser à confier une mission à un de ces types sortis de
l’ENA !
La fascination de la lumière, c’est un de ses moteurs d’action…
Certains
sont allés jusqu’à dire et écrire : Sarkozy
est fou…
Aujourd’hui Président de la République,
il a un côté
infantile. Quand nous étions ministres dans le même gouvernement,
j’avais
remarqué qu’il a besoin de toucher son interlocuteur, de lui prendre le
bras…
Comme une façon, à travers ce geste, de se prouver qu’il
existe ! Et puis,
maintenant, il a tous les jouets dont il rêvait, il peut s’amuser avec
tous les
boutons ! Il y a, chez lui, un mélange de doute et
d’exaltation- il est
difficile à décrypter mais il y a une certitude : il n’écoute
plus
personne… Alors, est-il fou ? Il a des défauts et, en même
temps, il est
très intelligent. Il est un très bon debater, comme disent les
Anglo-Saxons.
Mais il accumule les erreurs étranges de comportement. Depuis
longtemps, je dis
que pour les hommes politiques, il faudrait des psychanalyses d’intérêt
public ! Et Sarkozy serait un cas intéressant, avec ses tics,
son espèce
d’autoritarisme, ses colères à répétition, son manque de maîtrise…
Dans
les sondages, Nicolas Sarkozy est en chute libre et
surtout largement distancé par son Premier Ministre et les résultats de
ces
municipales 2008 ne sont pas très brillants pour la majorité
présidentielle…
Avant même les municipales, on
savait qu’il y aurait un
ressac si l’on en croit l’état de l’opinion- et j’en profite pour
rappeler
qu’en juin 2007, soit moins de deux mois après l’élection de Nicolas
Sarkozy,
déjà la majorité présidentielle avait certes gagné mais le nombre de
ses
députés a baissé par rapport à la précédente mandature… Et là, en ce
printemps
2008, la déception et le désamour des Français se révèlent à la hauteur
des
fanfaronnades de la campagne présidentielle. La déception est rapide,
brutale
et forte mais la seule cause de cette situation, c’est lui-même… Il est
à la
source de l’affaissement d’une partie de son électorat, et d’une
certaine
nostalgie de l’attitude de ses prédécesseurs. Et on est en train de
reconstituer la lutte des classes en France. C’est très dangereux,
cette admiration
pour l’argent affichée sans retenue ! Oui, il y a un vrai
danger… D’autant
que toutes les réunions de l’UMP se font à l’Elysée. Au moins Jacques
Chirac
laissait croire, lui, qu’il était au dessus des partis- même si rien du
quotidien du RPR ne lui était étranger. Mais chez Nicolas Sarkozy,
cette
ivresse du pouvoir, c’est très dangereux. Avec lui, c’est une
accentuation du
tout exécutif. Et c’est l’inverse de ce qu’il faut à la
France ! Regardez
autour de la France, tous les pays qui nous entourent, de l’Espagne à
l’Italie
en passant par la Grande-Bretagne, le Luxembourg, l’Allemagne,
l’Italie, ce
sont des régimes parlementaires… De l’Union européenne, sur 27 pays, 26
sont
des régimes parlementaires et la France reste la seule avec son régime
présidentiel !
Personnellement, je suis attaché au libéralisme français- j’ai été
nourri de ce
principe qui n’a rien à voir avec le libéralisme économique… Mon
libéralisme,
c’est celui de Tocqueville, Montesquieu et Raymond Aron, c’est celui
qui prône
l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance de la magistrature… On apprend
ça en
première année de droit, c’est même le premier cours ! Alors
quand
j’entends Nicolas Sarkozy s’opposer à une décision du Conseil
constitutionnel
sur la rétention de sûreté qui lui est défavorable, je ne peux pas le
suivre…
C’est
un Président bling-bling…
Déjà, c’est un homme de
soumission à l’état des lieux. Ce
n’est pas un homme de transgression, il pratique la soumission à l’air
du
temps… Et puis, il a complètement oublié que Président de la
République, ça
sous-entend de la tenue. A ce niveau de la vie politique, la fonction
domine
l’homme…Alors, quand il parle crûment à un pêcheur ou à un visiteur du
Salon de
l’Agriculture, il veut dire : « Voyez ! je
fais ce que je veux
et je vous emm… ». Mais le pouvoir, ça suppose une tristesse,
une
mélancolie…
Il
se dit aussi que Nicolas Sarkozy ne serait pas très
cultivé…
Ça se dit… et je pense que, pour lui, le
pouvoir est plus
important que le livre. Alors, on me dit souvent que l’époque a changé,
qu’on
n’a plus les mêmes références. Mais le général de Gaulle était aussi un
très
bon écrivain, Pompidou a rédigé une anthologie de poésie unanimement
saluée,
François Mitterrand était réputé pour sa passion de la littérature et
des
livres et Jacques Chirac pour sa grande connaissance des arts premiers…
De
Nicolas Sarkozy, on ne peut rien dire de tel, lui qui, lorsqu’il va au
Vatican
rencontrer le pape, se fait accompagner par l’humoriste Jean-Marie
Bigard ou
qui, lorsqu’il veut faire connaître sa liaison avec Carla Bruni, se
fait
photographier à Disneyland !
On
en revient toujours, chez Nicolas Sarkozy, à ce goût pour
l’argent, pour les puissants…
Et ce n’est pas
nouveau- c’est juste plus évident depuis
qu’il a accédé à la Présidence de la République… Et il ne plaisantait
pas un
instant quand, durant la campagne électorale, il disait qu’il y pensait
tous
les matins en se rasant. Mais c’est depuis que, jeune homme d’un peu
plus de 20
ans, il est entré en politique qu’il y pense ! Et au fil des
années, il a
constitué très habilement des réseaux très influents et cherché en
permanence à
avoir des liens avec des gens puissants- en politique, ans le monde de
l’argent, de l’industrie, des médias… C’est une vraie constante dans
son
parcours politique. Et aujourd’hui, il est là où il a toujours rêvé
être.
N’empêche ! je ne suis pas certain qu’il y éprouve autant de
plaisir qu’on
le croit. Pour Sarkozy, seule la compétition est passionnante. Une fois
que
c’est fait, vous êtes seul avec vous-même… et ces derniers temps, on a
vu un
Sarkozy visage fermé, tendu. On l’a dit souffrant d’une vilaine grippe-
je le
crois plutôt dans un moment de mélancolie…
On
parle beaucoup de ses gesticulations, de ses frasques et,
finalement, peu de politique quand on évoque Nicolas Sarkozy…
Il
y a un vrai brouillage de la ligne politique chez
Sarkozy. C’est une permanente contradiction. On peut définir le
thatcherisme,
le poutinisme, le chiraquisme mais dire ce qu’est le sarkozysme, j’en
suis
incapable. Ça tient à des raisons que, je crois, Sarkozy a lui-même
voulu.
Sûrement pour opacifier les choses, pour entretenir un certain
brouillard. Ça
va an tous les sens. Ça ressemble à un chaos qui permet, un jour, de
parler de
Guy Môquet et, le lendemain, d’expulser de France des enfants, des
étrangers.
Et ce mélange de tous les genres politiques, il est pratiqué avec
beaucoup de
désinvolture. Mais cette confusion, elle est à l’intérieur du
personnage
lui-même qui n’a ni la profondeur ni la culture nécessaires pour
exprimer
quelque chose qu serait à peu près cohérent…
Alors,
avec Sarkozy, ça va mal finir ?
La
France est un pays assez éruptif où jamais personne n’a
prévu une crise…Mais aujourd’hui, il y a un malaise profond de la
jeunesse. Et
cette idée qu’on flatte les riches et les puissants, ça devient
insupportable.
Avec Sarkozy Président, on a recréé la lutte des classes...
>A lire : Ça va mal finir, de François Léotard. Grasset, 142 pages, 10 €.
Copyright
2007 SBLlivres ! – Serge Bressan Pour toute reproduction (totale ou même partielle), prendre contact avec : sblivres@free.fr |