MARS 2007
Il a passé treize ans dans les geôles d’Uruguay- parce qu’il était opposant au régime militaire. Là, il a découvert l’écriture. Aujourd’hui à 58 ans, Carlos Liscano est tenu pour l’un des plus importants écrivains d’Amérique du sud. L’an passé, était sorti l’impeccable et vertigineux Fourgon des Fous. Et voici Souvenirs de la guerre récente- un roman du plus haut niveau.
Pourtant avare en compliment, un jour Luis Sepulveda a confié : « La littérature latino-américiane a, en Carlos Liscano, un représentant d’une puissance exceptionnelle. Il a réduit l’Histoire à une anecdote. Il la prend, la passe au crible et nous offre, à travers l’implacable et parfois cruel prisme du poète ». Ce jour, on retrouve Carlos Liscano dans un hôtel parisien ordinaire : il a fait le voyage de son Uruguay aimé pour évoquer Souvenirs de la guerre récente, un roman publié en 1988 et offert seulement en cette fin d’hiver 2007 en version française. Liscano, 58 ans, c’est tout simplement le plus grand écrivain uruguayen du moment- et l’un des plus importants d’Amérique du sud. L’an passé, il avait illuminé les parutions printanières avec Le Fourgon des fous- cette fois, avec Souvenirs de la guerre récente, il jongle entre surréalisme et poésie, dans le sillage de Dino Buzzatti, pour une réflexion sur la littérature, l’identité, l’écriture. Rencontre.
Vous aviez écrit Souvenirs de la guerre récente en espagnol
en 1988- et il sort en français, près de vingt ans après… Il vous a fallu replonger
dans ce texte…
… et j’ai éprouvé une impression bizarre. Il m’a fallu
revivre des choses difficiles, surtout des détails. Oui, c’est vraiment
étrange, se replonger dans un livre vingt ans après surtout pour moi qui, une
fois le livre écrit, n’y pense plus ».
Evidemment, on ne reçoit pas le texte de la même façon
vingt ans après sa première parution…
Je n’ai plus la même innocence qu’au moment où j’ai écrit Souvenirs de
la guerre récente. Et je suis sûr que si je l’écrivais aujourd’hui, ce serait
un désastre !
Pourquoi ?
Parce que je voudrais y ajouter des choses. Parce que je voudrais
l’améliorer. Or un livre doit rester avec son innocence, son inconscience…
Souvenirs de la guerre récente nous propose deux niveaux de
lecture : d’une part, une réflexion sur l’aliénation de l’individu, les
paradoxes de la liberté et de l’enfermement ; d’autre part, un travail
d’écriture dépouillée et poétique…
J’ai passé treize ans en prison dans les années 1970- 80 en Uruguay pour
opposition au régime militaire en place. Et je n’avais jamais écrit une seule
ligne… Pour des raisons familiales, 1980 a été une année difficile pour moi. Et
dans cette prison, j’étais « puni »- bien sûr, la vie peut toujours
être pire que celle que l’on vit à ce moment-là et la vie normale d’un
prisonnier, c’est d’être dans une cellule. C’était mon cas- je n’avais pas de
lumière, pas d’eau, pas de lit, je ne parlais à personne, je ne voyais le
visage de personne, je ne me lavais pas, je ne changeais pas de vêtement… Sept
mois dans de telles conditions, c’est très dur. Et là, moi qui étais mathématicien,
j’ai pensé que je pourrai écrire un roman. C’était juste un exercice mental, il
n’y avait aucune ambition littéraire ! L’écriture, ça me permettait
de survivre…
Dans l’enfer de la prison, pour vous, l’écriture était
aussi source de plaisir, aussi infime put-il se révéler ?
En fait, l’activité de l’écriture m’a créé des problèmes. Parce qu’elle
fait poser des questions auxquelles on ne peut pas répondre. Et écrire, ce
n’est pas vu par les autres prisonniers… L’écriture devrait être une activité
positive mais les prisonniers observent la conduite des autres…
N’empêche ! après plusieurs années dans une prison, tout le monde est ce
qu’il est vraiment- on ne peut rien dissimuler, il est impossible de ne pas se
montrer dans sa vérité ».
Vous dites que pour l’écriture de Souvenirs de la guerre
récente, vous vous êtes inspiré de deux textes de Dino Buzzati : Le désert
des Tartares et Sept Messagers. Un tel aveu, ce n’est pas courant dans le monde
littéraire !
Mais après la Bible, il n’y a rien d’original en littérature ! J’ai
lu Le désert des Tartares en prison, j’y ai compris que les prisonniers, les
militaires ou encore les moines, tous sont ressemblants. On pourrait dire que
Souvenirs de la guerre récente, c’est aussi un livre sur l’attente… Moi,
personnellement, je préfère parler d’un roman mental !
Votre personnage principal, un homme ordinaire, se retrouve
enrôlé pour une guerre dont il ne sait rien. Il est retiré de sa famille, se
retrouve dans un camp isolé pour un entraînement militaire. Les années passent,
il est promu gratte-papier pour traduire des brochures sur les pneus, le
mobilier pour maisons de bord de mer ou encore le mode d’emploi d’une fusée.
Les années passent et l’ennemi reste invisible…
Mais mon personnage, il est comme le prisonnier. En prison comme dans ce
camp militaire, on vit. Oui, c’est la vie… Il y a de la tristesse, de la joie,
des illusions, on fait des projets. Tout ça, toujours dans le cadre de
l’attente… Et moi, parfois, j’attends et je me rends compte que lorsque
j’attends, je trouve toujours quelque chose à faire ! Les moments vides,
ça me donne l’impression de ne pas être tranquille. L’impression de perturbations,
de mal être. Et pour ne pas éprouver cette intranquillité, je marche, ça peut
durer dix heures ! »
Mais vous affirmez aussi qu’écrire, c’est partir pour nulle
part…
… parce qu’on part, on commence à écrire mais on ne sait pas où on va
aboutir. L’écriture a ses règles qui s’imposent toujours à l’écrivain. Un
auteur ne peut pas conduire une histoire. Sur le plan existentiel, écrire est
une expérience sans retour. Ecrire, c’est être en suspens !
Le degré ultime de la littérature ne serait-il pas le silence ?
Oui… Pour tous les écrivains, le nec plus ultra serait de ne plus
écrire. Arrive un moment où l’on regrette de ne pas avoir écrit tout ce qu’on
voulait et on a conscience qu’il n’y a plus assez de temps pour le faire.
Alors, on laisse la littérature, on écoute le murmure de la réflexion… »
>A lire :
-Souvenirs de la guerre récente, de Carlos Liscano. Traduit
par Jean-Marie Saint-Lu. Belfond, 168 pages, 17,50 €.
-L’impunité des bourreaux, de Carlos Liscano. Traduit par
Françoise Thanas. Bourin Editeur, 256 pages, 19 €.
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