INTERVIEW : Jean-Christophe RUFIN                         

Février 2007

rufin

 La veille encore, il séjournait en Ethiopie. Retour en France, Jean-Christophe Rufin fait étape chez son éditeur qui lui annonce la bonne nouvelle : en librairie depuis le 12 janvier dernier, Le Parfum d’Adam est solidement installé au sommet des ventes ! Le grand succès pour son septième roman, et un commentaire serein : « Quand on a eu le Goncourt, on reste zen face à tout ce qui peut arriver après ! » Et le Goncourt, Rufin l’avait reçu en 2001 pour Rouge Brésil. Cette fois, à 54 ans, l’ex-« French doctor » (un temps, vice-président de Médecins Sans Frontières) propose un pavé- près de 540 pages. Un thriller écolo avec, comme argu de promotion : « 100 heures pour sauver l’humanité ». Il y a une jeune militante écologiste, une agence de renseignements privée, des écologistes radicaux et ceux qui les manipulent. 

Ce grand livre, roman d’envergure, n’est pas seulement un texte d’espionnage parfaitement maîtrisé. L’air de rien, Jean-Christophe Rufin (toujours aussi intéressé par un thème qui lui est cher : le rapport Nord- Sud) fait œuvre de pédagogie. Et déroule un texte écologiquement incorrect. En Europe, on en est encore à l’écologie « bon enfant »- mais dans un discours écologiste aux Etats-Unis, on peut aussi entendre qu’il y a « de plus en plus de pauvres sur une planète qui s’épuise ». Voilà donc, poussé à son extrême, un raisonnement qui va justifier une épidémie par le choléra. Evidemment, les « écolo-terroristes » ont ciblé le Cap-Vert ou les « favellas » de Rio de Janeiro, parce que, ans le tiers-monde, le combat contre la pauvreté aura toujours pour seules victimes les pauvres. Oui, entre de nombreuses qualités, Le Parfum d’Adam pointe le curseur sur le danger que représente l’écologie radicale. Rencontre avec un auteur qui, à travers ses livres, veut « parler à beaucoup de gens ». 

A peine sorti, Le Parfum d’Adam caracole en tête des ventes et vous, pendant ce temps, vous filez en Ethiopie !

Je suis le premier étonné de ce qui arrive ! Mais en même temps, je ne ressens pas de choc violent… Le premier choc, je l’avais eu avec L’Abyssin, paru en 1997 et qui m’a valu le Goncourt du Premier roman. Mais franchement, chez moi, le Goncourt, ça n’a pas créé de vertiges de la page blanche. Moi, je n’ai pas eu le Goncourt triste !  

Pendant l’écriture de ce Parfum…, vous étiez aussi directeur de l’association Action contre la Faim (ACF)…

… et c’est la première foi que j’ai écrit dans les avions, les hôtels, partout dès que j’avais un moment libre. La rédaction de ce roman a été une grande souffrance. Et puis, à la même période, je changeais d’éditeur, je quittais une maison où l’on était assis sur la littérature et là, j’arrivais chez des gens qui vont chercher le public…  

Bien sûr, comme dans tout bon thriller, il y a l’énigme l’intrigue mais reconnaissez que votre livre va faire débat en mettant au grand jour une écologie méconnue en Europe…

D’abord, je tiens à préciser que ce n’est que coïncidence si mon livre paraît en même temps que la grande vague écologique portée par Nicolas Hulot. Le « hulotisme », c’est une sorte de naïveté un peu rafraîchissante ! Mais il faut savoir qu’il y existe plusieurs écologies. Le mouvement écologiste, ce n’est pas seulement l’écologie pour tous, une espèce d’alternative pure contre la politique impure. Aux Etats-Unis, il y a une écologie radicale, la « deep ecology » qui tient l’homme pour une espèce comme toutes les autres sur la Terre. L’espèce humaine, dans son idéologie, n’est plus sacrée…  

Votre thèse est écologiquement incorrecte…

Mais il y a une écologie nazie, il ne faut jamais l’oublier : au nom d’un certain devoir, elle peut faire mourir. Et il se trouve qu’aujourd’hui, sur notre planète, il y a un grave problème de surpopulation. Reste à trouver la solution pour régler ce problème. Mais encore faut-il savoir s’extraire du politiquement correct. 

Ted Harow, le gourou des Nouveaux Prédateurs- les écolo-terroristes de votre Parfum d’Adam, a du sang indien dans les veines…

D’abord, je précise que des types comme Ted Harrow, il en existe aux Etats-Unis. Peut-être paraissent de doux rêveurs, d’inoffensifs penseurs mais certains comme mon personnage se mettent en tête d’appliquer leurs thèses, leurs écrits. Et puis, oui, Harrow a du sang indien qui lui coule dans les veines- mais les Indiens d’Amérique ont toujours éprouvé une certaine humilité devant la nature. Voilà certainement pourquoi le modèle indien a toujours fonctionné dans la contre-culture.  

Après avoir compilé la documentation, comment surgit l’idée du Parfum d’Adam ?

Je démarre toujours sur une image. Et je travaille dans le silence, je n’écoute pas de musique. Mais je ne dois pas oublier, quand je m’attaque à l’écriture du Parfum…, que je suis romancier, et non pas essayiste. C’est un livre qui a mûri en moi pendant très longtemps, j’ai changé les formes et les structures.

Les défauts et les qualités du Parfum d’Adam ?

Je regrette, je l’avoue, que le ressort ne soit pas assez tenu : il me semble aujourd’hui que le danger qui guette l’héroïne n’est pas suffisamment fort. Un défaut que je contrebalance avec deux qualités ! La première : pour ce livre, le fait d’exister ! Et puis, la possibilité de parler du présent, d’avoir trouvé le moyen d’accompagner le lecteur à travers des réalités contemporaines. Ce livre, je dirai que c’est une pédagogie souple. Parce que je ne revendique pas le statut d’écrivain. Savoir si je suis ou non un écrivain, ça ne m’intéresse pas. Moi, je veux simplement parler à beaucoup de gens. Alors, oui, je relève le défi d’une littérature populaire et de qualité. Mais écrire un livre grand public, c’est un effort, c’est difficile…

Propos recueillis par ©Serge Bressan

>A lire : Le parfum d’Adam, de Jean-Christophe Rufin. Flammarion, 546 pages, 20 €.

 

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