INTERVIEW : Marion RUGGIERI                         

Mai 2008

M.Ruggieri

Elle arrive en hâte. S’excuse pour trois minutes de retard. Sourit. Parle sans esbroufe. Marion Ruggieri, 34 ans pour l’état-civil (« je dis 33 ans, depuis toujours je me rajeunis d’un an, et je m’arrêterai à 37 ! »), fréquente ces temps-ci le Top 20 des ventes avec Pas ce soir, je dîne avec mon père. Un premier roman aussi enjoué que bouleversant, tout empli d’un ton vraiment personnel. Dans son histoire, elle n’a pas oublié une pincée de cruauté, une once de dépendance… Soit un père et sa fille. Lui, en pleine cinquantaine, vit en éternel ado et lance : « Question flirt, je me mets 19/20 ». Il a décidé de ne pas vieillir. Elle ne veut pas grandir- par amour pour son père. Inconsciemment, ogre magnifique, il va voler la jeunesse à sa fille. Rencontre avec Marion Ruggieri, une auteure qui pointe une société balancée entre jeunisme et immaturité.

Pourquoi ce roman, maintenant ?
Ça faisait longtemps que je l’avais en bouche. Des années que j’avais l’histoire en moi. Mais dans la vie, il y a des moments pour chaque chose… Et puis, j’étais à la limite d’âge- il me fallait l’écrire avant qu’il ne soit trop tard. Je crois que j’aurais probablement regretté de ne pas avoir écrit ce livre. Donc, je me suis contrainte. L’été dernier, j’ai eu un mois devant moi, j’étais seule, j’ai écrit…

Il y a eu de la souffrance à écrire ce texte ?
Je dirai, au contraire, que ça a été facile. Je l’ai écrit en un mois. Je n’avais pas de manuscrit, j’ai écrit directement à l’ordinateur, je n’ai pas fait de sortie papier, je l’ai enregistré sur une clé USB que j’ai donnée à mon éditeur ! Je n’ai même relu ce que j’ai écrit, mais pendant la rédaction, à chaque phrase, je me demandais : « Est-ce bien ? Est-ce le bon mot ? » Je sais rédiger un article pour un journal, mais le livre, c’est tout autre chose. C’était une première pour moi, avec cette question qui revenait sans cesse : « Peut-on tout dire ? » L’exercice m’a paru très impudique, parfois obscène…

Pas ce soir, je dîne avec mon père est présenté comme roman. Pourtant, il transpire l’autobiographie…
A la base, j’ai voulu une réflexion personnelle inspirée par des histoires vécues. Puis ce livre, je l’ai construit « à l’américaine ». Une fiche par personnage… J’avais quelque chose de très construit. Et à l’arrivée, plus qu’un roman, ça donne une fiction mêlée à des choses intimes… Et puis, j’ai écrit ce livre vraiment parce que j’avais une idée. En toute humilité, j’avais l’impression d’avoir quelque chose à dire…

Au magazine Elle où vous travaillez, il y a un style, un ton que bon nombre de vos « collègues de bureau » passés à l’écriture romanesque n’ont pas réussi à se débarrasser…
… très franchement, à aucun moment, je ne me suis posée la question de l’écriture. Ça faisait des années que j’avais l’histoire en moi, j’ai écrit ce livre, je l’ai fait, c’est moi… Il y a d’autres histoires en moi mais pour celle-là, il y avait une espèce de nécessité de l’écrire plus que les autres.

Ce père qui habite votre roman, on a envie d’être copain avec lui !
Je crois… Et puis, ce livre est aussi une façon, pour moi, de lui dire des choses. De lui dire que je l’aime. C’est une histoire d’amour entre un père et une fille. C’est un couple avec tout ce qu’il y a d’incongru et de complexe.

Certains voient aussi dans le personnage le symbole de la génération des « soixante-huitards », de ceux qui ont fait Mai 68…
C’est une génération assez cool, et en même temps, elle cultive une espèce de cynisme… En fait, mon livre établit un constat : voilà une génération, celle née au carrefour des années 1940-50, qui ne ressemble à aucune autre. Mais la génération d’après, c’est encore pire !

On évoque aussi une société toute tournée vers le jeunisme…
Cette génération de l’après-guerre, elle est la première à avoir tout eu. Et on parle toujours des femmes, quand on évoque le jeunisme. Mais moi, ça m’intéressait de voir ce sujet à travers les hommes. Mon père, dans le livre, il a décidé de divorcer, d’avoir une vie sexuelle très active et en même temps, il a un job, il se tient au courant du monde qui l’entoure…

… et sa fille ?
Avec un père très ouvert d’esprit, elle compense comme elle peut… Ce n’est pas toujours évident avec un père qui, par exemple, lui présente sa nouvelle petite amie : une catholique pratiquante. Il avait juste oublié de lui dire que c’est une jeune fille de 17 ans- donc, bien plus jeune que sa propre fille ! Alors, oui, elle compense avec un fiancé de 50 ans parce que c’est sérieux, hyperrassurant.

Entre ce père et sa fille, il y a quand même un rituel : le dîner hebdomadaire…
Dans ce dîner, il y a une espèce de débordement. On peut comprendre cette fille très éprise de son père- un type à qui on n’a rien à lui reprocher. Alors, comment on tue un type aussi sympathique ? Et la voilà qui devient la mère de son père… Elle slalome dans la vie, elle s’est mise dans la peau d’une nonne, elle a pris le rôle qui lui reste- celui de la « vieille petite fille ». Elle encadre son père, lui fait don de sa vie mais voilà, lui, il n’a rien demandé !

Avec ce roman, vous vous sentez maintenant écrivaine ?
Je ne me sens pas écrivaine… et j’aime bien ce que m’a dit un ami : « C’est en écrivant qu’on devient écriveron ». Alors, si mon livre fonctionne pas mal, c’est parce qu’il a, avant tout, un ton…

©Propos recueillis par Serge Bressan

>A lire : Pas ce soir, je dîne avec mon père, de Marion Ruggieri. Grasset, 226 pages, 16,90 €.


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